Però non mi destar : Deh ! Parla basso.

Michel-Ange

Ne va point m’éveiller : de grâce, parle bas.

(Traduction d’Olivier Bivort)

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie : 
Dormez, tout espoir, 
Dormez, toute envie ! 

Je ne vois plus rien,  
Je perds la mémoire 
Du mal et du bien... 
Ô la triste histoire !
 
Je suis un berceau 
Qu'une main balance 
Au creux d'un caveau : 
Silence, silence !

Paul Verlaine (1873, Cellulairement)

Mystérieux poème!

D’après Takeshi Matsumura (2016, Revue Fracas n°47, article disponible sur Internet), une berceuse peut désigner, comme nous l’entendons habituellement : une chanson pour endormir (un enfant) ; mais, ajoute Takeshi, une berceuse est aussi (1835) : une femme chargée de bercer un enfant. Ce sens fut même premier pour le Dictionnaire de l’Académie française !

Notre première interprétation du poème de Verlaine donnera certainement au mot Berceuse le sens d’une chanson douce. Mais si nous adoptons la suggestion d’entendre dans cette Berceuse la femme qui berce l’enfant, alors, nous dit Takeshi, nous pouvons l’écouter différemment.

Takeshi écrit :

Il ne me semble pas impossible de nous représenter le poème comme un dialogue entre le moi qui se plaint, à savoir le poète (qui vient d’être condamné à deux ans de prison ferme et à deux cents francs d’amende par le tribunal correctionnel de Bruxelles), et une femme, qu’en reprenant un terme ancien et rare, on pourrait appeler berceresse pour éviter toute confusion. Leurs répliques pourraient se répartir de la manière suivante :


Le poète : Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie.
Berceresse : Dormez, tout espoir, dormez, toute envie !
Le poète : Je ne vois plus rien, je perds la mémoire du mal et du bien.
Berceresse : Ô la triste histoire !
Le poète : Je suis un berceau qu’une main balance au creux d’un caveau.
Berceresse : Silence, silence !

Ce poème a été mis en musique par Edgar Varèse en 1906.

Mireille Delunsch, soprano

Francois Kerdoncuff, piano

Art, Michael Raedecker