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Le monde extérieur est imprévisible. Les événements s’y produisent soudainement, sans crier gare. Nous aimons sentir que nous détenons le contrôle de notre existence, ce qui est vrai dans certains cas, mais pas dans d’autres. Nous sommes régis par les forces du hasard, les coïncidences.
Paul Auster

Extrait d’un article publié en 2020 dans Le langage intermédiaire de Jacques Levine, Glossaire, livre collectif auquel j’ai participé.
Y a-t-il dans la vie du Pareil que prévu? Qu’est-ce que prévoir?
Ce peut être imaginer, anticiper, rêver, (se) construire des univers, d’abord mentalement, et aussi par écrit; appliquer des règles, des programmes…
L’être humain se soutient d’un désir d’agir, d’une recherche de puissance et de confort; il veut savoir où il va, maîtriser la réalité, la transformer, et espère sa stabilité, sa fiabilité. Il construit un socle de savoirs, méthodes, techniques, des outils pour l’action. Il lui faut réfléchir et prévoir; faire des plans, organiser, voire normer. Il lui est difficile d’envisager le hasard, l’accident, par définition incontrôlable. Il produit et utilise des outils: plans, modèles, machines, pour agir sur le monde, acquérir du pouvoir sur l’espace et le temps. Il espère une mise en œuvre sans dysfonctionnement ni panne. Prévoir requiert certes de l’imagination, mais utilise beaucoup les capacités intellectuelles, fait appel à la raison. Ce Pareil que prévu accompagne un vécu psychique optimiste, volontaire, rassurant l’individu, allant dans le sens du persévérer et grandir dans son être de Spinoza. C’est un moteur d’existence. L’être humain est ainsi dans sa continuité d’être, il ressent la joie de former couple avec un projet.. (L’expression former couple est de J. Levine, psychanalyste et fondateur de l’AGSAS, voir lien sur ce site).
Donc l’être humain prévoit, organise, agit, mais ça ne va pas de soi ; il devra composer avec les aléas, les accidents… Le Toujours pareil se composant au Forcément différent forment ensemble l’étoffe même de la vie (J’emprunte l’expression au psychiatre Jean Oury, 1986, Séminaire de Sainte-Anne, Alors, la vie quotidienne ?).
L’Autrement que prévu débarque dans l’ordonnancement industrieux des humains ; lutin farceur ou méchant troll, il surprend, effraie, bouscule les plans, effracte le rêve, allant parfois jusqu’à provoquer la destruction. Il entraîne des modifications de la réalité perçue et agie, sur une échelle extrêmement large et variée d’événements.
De la fantaisie au ratage, il évoque la perte de contrôle, la sortie du cadre. Il sidère, et peut provoquer le traumatisme.

Extrait d’un roman:
J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. « J’ai été là au bon moment », voilà ce que bien des gens comblés pouvaient confesser. J’avais été là au bon moment quand j’avais rencontré la moman. Elle serait arrivée quelques minutes plus tard à la maison des jeunes, on ne se serait pas connus. On n’était pas du même coin, il n’y avait aucune raison qu’on se voie un jour. On serait partis sur deux trajectoires, on aurait multiplié les riens, on aurait eu d’autres enfants, cela aurait été différent. Fus, lui, avait été là au mauvais moment. (p. 171)
2020, Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, Paris, La Manufacture de livres.