Voici deux paroles très différentes, sur un même sujet: la Culture. Je les ai transcrites ci-dessous.

J’attends vos points de vue, ou d’autres suggestions de textes ! Merci d’avance ♥♥♥

N.B. Ces transcriptions peuvent être utilisées, à condition de respecter les règles de citation.

09/12/2019

Par Augustin Trapenard

Boomerang, France Inter.

Méfiez-vous de la Culture…

La Culture, vous savez, toujours au singulier, parce qu’elle a quelque chose d’exclusif;

la Culture avec un C majuscule, elle serait outrée qu’on lui enlève son caractère très officiel;

la Culture qui marque, qui définit, qui distingue ceux qui en auraient, de ceux qui n’en auraient pas…

Vous savez, on me demande souvent pourquoi je la bouscule, la Culture, quand je l’annonce le matin, pourquoi je m’en moque, pourquoi je m’en amuse ; et je réponds qu’il serait bien naïf de croire que c’est un mot neutre. La Culture, si on ne la bouscule pas, si on refuse de l’interroger, elle aura toujours quelque chose à voir avec la domination.

Ce sera toujours une évidence, la Culture, pour certains, dont je suis depuis que je suis né, des plus privilégiés. Ce sera toujours un luxe, pour d’autres. Je me souviens, comme ma grand-mère ne comprenait même pas qu’on puisse choisir d’en faire un métier… Ce sera une arme, pour d’autres encore, qui la brandiront chaque fois qu’ils voudront imposer leur autorité . Ce sera une violence, la Culture, pour beaucoup, parce qu’elle les exclut, et qu’ils n’envisagent même pas qu’ils peuvent y avoir droit.

Et pour toutes ces raisons, vous permettrez qu’on la secoue un petit peu, qu’on la questionne, cette culture, qu’on l’affuble d’un c minuscule ici, que l’on met au pluriel et que l’on partage avec passion, tout en sachant qu’il faut toujours s’en méfier!

5 mai 2020

Par Mathilda May.

Grand bien vous fasse, France Inter, matinée « spéciale Culture ».

(pendant le Grand Confinement, pour une fois, cette émission parlait d’autre chose que du virus Covid19…)

Mathilda May, artiste (Molière de la meilleure metteuse en scène pour Le Banquet), livre ses réflexions sur les effets du confinement, qui oblige à la fermeture des salles de cinéma, des théâtres, des musées, des bibliothèques, et supprime les concerts, festivals, répétitions, toutes les activités culturelles du pays, depuis le 16 mars, et pour une durée encore indéterminée à ce jour:

J’ai les pattes coupées, en termes de création (…) et on est nombreux dans ce cas! Rêver, c’est une projection. Quand j’écris un spectacle, je l’imagine dans le lieu, dans le théâtre, je l’imagine à partager. La différence entre un rêve artistique et un rêve lambda, c’est qu’un rêve artistique doit prendre forme, corps dans le réel. Pour moi, la création œuvre d’autant plus qu’elle se confronte au réel, qu’elle rencontre le public. D’abord, on la met en place avec une équipe ; c’est cette équipe qui fait que ce rêve devient concret, devient une réalité pour tous, à partager. On peut rêver, tous, dans l’absolu, à tout ce qu’on veut ; mais rêver, de façon artistique, c’est une concrétisation de ce rêve. Et pour que ce rêve puisse exister, il lui faut un lieu, une projection ; et là, il n’y a pas de projection, pas de visibilité, et c’est paralysant.

En ce moment, je suis comme affamée, en manque de nourriture émotionnelle, intellectuelle! Parce que le théâtre, l’art, la culture, ce n’est pas juste une respiration nécessaire et vitale pour la société; c’est aussi une réflexion possible sur nos vies, nos contemporains, sur nous-mêmes; c’est aussi une prise de recul sur le réel. Donc, ce recul, si on ne l’a pas, on étouffe dans le réel. En tant que spectatrice (aussi), je suis vraiment en manque de danse, de musique, de théâtre, de cinéma, de musées! J’ai soif de cela, c’est ma façon de voyager. Voyageant peu depuis quelques années, je me nourris de tout cela. J’espère que je ne suis pas la seule à vivre (le confinement) de cette manière (…) Je ne sais pas si je peux être optimiste ou pessimiste.

La culture, c’est l’ouverture du champ des possibles; c’est comment on peut se regarder, s’appréhender, prendre du recul sur soi, sur le monde dans lequel on vit, et comment on peut rêver autrement. En voyant des spectacles, j’ai rêvé autrement! Mon imaginaire s’est agrandi. À chaque fois que j’ai découvert un artiste, notamment sur les scènes qui pratiquent le théâtre visuel, un monde s’ouvrait dans mon imaginaire, cela me donnait plein d’idées! Et les idées, on n’en a pas seulement besoin pour la culture, on en a besoin pour vivre! La création, c’est la vie! Quel que soit son métier, quelle que soit la façon dont on prend sa place dans le monde, je pense que sans créativité, on ne peut pas se développer.

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