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Mercredi 23 août à Bussang, en milieu de journée, aurions-nous été… maraboutés?
Nous avons eu le plaisir de voir et d’écouter Solo Gomez sous la yourte. Solo est comédienne, auteure, conteuse. Elle chante, et danse aussi, et bien! Que contait donc Solo aux petits et aux grands, en ce (très) chaud début d’après-midi, sous la yourte bussenette? Je lui laisse la parole :
Dans Les Margouillats, je présente 5 contes africains, 4 traditionnels, et 1 écrit par moi-même. Les Margouillats, conte peule ; Fanta, écrit par moi ; Le chant du coq ; La forêt interdite ; Les dix fils, ces 3 derniers contes originaires d’Afrique de l’Ouest.
La magie opère!
Née en France, originaire de la Guinée, orpheline de ma langue, orpheline de ma culture, il me fallait prendre racine et hampathé bâ pour me tenir en équilibre sur le mince fil de la vie. Alors je m’invente une langue et construis un monde sorti de mon imagination, où les animaux parlent aux hommes et l’amitié naît en chantant. Voyage au pays Malinké avec les margouillats. Vous y croiserez un chien inquiet, doté d’une âme bienveillante, Fanta, une toute petite fille à la voix imposante. Vous comprendrez pourquoi le coq accueille le soleil en chantant et apprendrez qu’il ne faut en aucun cas défier les esprits dangereux et redoutables de la forêt interdite. (4ème de couverture du livre de Solo Gomez)
Publication : Les Margouillats de Solo Gomez, illustrations de Morgane Triffault. Éditeur : L’Eole, 2009. ISBN 978-2-7466-1073-6
Le soir-même, nous changerons totalement d’univers!
En-dessous de vos corps, je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas.
C’est le titre de la pièce que nous avons vue le mercredi 23 août au soir; un beau titre, long, mystérieux et poétique. C’est le titre d’une tragédie classique : nous nous sommes immergés dans Britannicus, pièce de Racine, magistralement revisitée, réécrite par le Québécois Steve Gagnon. Pour d’autres temps et dans d’autres décors… se nouent les mêmes terrifiantes passions que chez l’auteur du 17ème siècle.
Revenons à la source historique:
D’abord, je vous présente la famille de Britannicus : une famille romaine du 1er siècle de notre ère. Une histoire d’autrefois, sur fond de haine, complots, exils, assassinats… Famille recomposée: il sera question de la mère, Agrippine et de son fils Néron; Agrippine est née en l’an 15, elle est mariée à 13 ans à Domitius, et devient mère d’un enfant unique, son cher Néron (qui, beaucoup plus tard, en l’an 59, la fera assassiner…) Puis Agrippine, veuve, se remarie avec son oncle, l’empereur Claude. Veuf lui aussi, Claude a un fils, Britannicus. Pour plaire à Agrippine, Claude adopte Néron et le promet à sa succession sur le trône, évinçant son propre fils. Claude mourra, sans doute assassiné par Agrippine, en 54.
La tragédie de Jean Racine se situe quelques années après la mort de Claude. Néron est devenu empereur. Et si, au début de son règne, il restait encore très inféodé à Agrippine, maintenant il dévoile une nature passionnée et jalouse, assoiffée de pouvoir et de sang, et il se déchaîne : la tragédie met en scène l’assassinat de Britannicus, le fils de Claude évincé du pouvoir, que Néron jalouse et craint, qu’il hait. Et aussi, il brûle de désir pour Junie, fiancée de Britannicus ; et encore, il veut passionnément s’affranchir du joug maternel.
Steve Gagnon a joué le rôle de Néron dans Britannicus, voici ce qu’il en dit:
J’avais capoté sur son énergie, son impulsivité. Il y a une volonté de pouvoir et un désir destructeur chez lui qui sont fascinants. Sa volonté aussi d’avoir accès à l’immense et au sublime, c’est la première fois que je retrouvais tout ça dans un personnage.
Les contraintes liées au texte de Racine ont amené Steve Gagnon à créer 〈son〉 propre Néron, au Québec, en 2013.
La tragédie se noue autour de seulement cinq personnages, tous principaux. Et d’abord, Néron et Britannicus, qui deviennent chez S. Gagnon des frères de sang, ce qui tisse le tragique d’une extraordinaire dimension psy. Junie est, comme chez Racine, la fiancée (épouse) très aimée de Britannicus. Apparaît aussi dans cette réécriture une figure symétrique de Junie, sous les traits d’Octavie, fiancée de Néron, solide et déterminée à conserver son homme. Enfin, le personnage d’Agrippine est conservé, elle est ici chef d’une petite entreprise commerciale montréalaise. Comme chez Racine, Agrippine est une mère dévoratrice, elle a une mainmise totale sur toute la maisonnée.
Britannicus et Junie sont tous deux jeunes, beaux, libres, désirables (la sexualité est omniprésente dans la pièce). Libre, Britannicus ne va pas le rester, car il est démuni, et répond à l’appel d’Agrippine d’intégrer avec Junie le foyer familial, pour quelque temps. C’est aussi un jeune homme fougueux, sexuellement comblé, tandis que son frère Néron étouffe : dans sa maison, sa famille, son couple. Tous se retrouvent là, les passions vont se déchaîner, en un grand maelström : rivalité fraternelle, luttes de pouvoir, sexe, jalousies, amour et haine; où vont s’immerger et se perdre les cinq protagonistes.
Néron désire ardemment Junie; il veut aussi briser l’étau maternel et prendre la fuite: dans la quête éperdue d’un dehors, désir immense et infini auquel Néron va sacrifier toutes limites. L’acmé de la tragédie s’incarne dans le sacrifice de Junie et la destruction de l’univers familial. Le destin des personnages est à la fin très différent, l’œuvre de Steve Gagnon signant encore sa singularité dans cet épilogue.
Ça devient une course à qui va mettre le feu à cette maison-là. Au fond, la pièce traite de notre quête du dehors. De ce désir plus grand que nature d’avoir accès à quelque chose d’infini et d’immense. Mais auquel on n’a pas accès parce qu’on recherche un certain confort. Parce qu’on accepte une vie minuscule programmée d’avance. (Steve Gagnon, Livret du Théâtre du Peuple)
Vincent Goethals a mis en scène cette pièce classique et très contemporaine:
Avec la chorégraphe Louise Hakim, nous les pousserons, ces corps, jusqu’au bord de l’épuisement, tandis que les sons grinçants d’une guitare saturée laissera planer l’ombre d’un homme, d’un père manquant. Présence-absence engendrant la folie meurtrière de la fratrie. Une bien belle partition pour les cinq acteurs! (Vincent Goethals, Livret du Théâtre du Peuple)
Le jeu incandescent des comédiens, obscène, charnel, répond à la violence des sentiments, à la douleur, à la folie. Et il transcende le dépouillement extrême du décor (un appartement de banlieue, du gris, du blanc…) La langue de Steve Gagnon est travaillée en pics et abîmes, contrastes de folie: des dialogues extrêmement crus se mêlent à des élans poétiques incroyables.
Le spectacle s’achèvera sur une pluie de neige et de cendres : de pureté et de noirceur mêlées, en écho au texte de Steve Gagnon qui sait si bien jouer de la laideur et de la beauté, de la vilenie et de la poésie, du banal et du sublime. (Vincent Goethals, Livret du Théâtre du Peuple)
Citation et hommage : les photos qui illustrent ces articles sont extraites du programme 2017, 14 juillet >27août, du Théâtre du Peuple (Bussang, Vosges) sauf le diaporama des Margouillats, composé de mes photos.