Aux dix droits imprescriptibles du lecteur, décrits par Daniel Pennac dans son essai Comme un roman, je vais me permettre d’en ajouter un, dont il parle d’ailleurs au début du livre.

Un droit simple et primordial, à la fois universel et personnel, auquel je tiens beaucoup, et qu’on ne m’a pas souvent accordé dans mon enfance: LE DROIT DE LIRE.

C’est pour ça que j’y tiens tant!

(Image Internet, reçue via Facebook)

Au début de cet essai, Daniel Pennac nous rappelle l’aversion, parfois ancienne, parfois acquise à l’école (eh oui!), que nombre d’enfants et de jeunes ados entretiennent à l’égard de la lecture. Judicieusement, Pennac signale que le verbe lire, pas plus que les verbes aimer ou rêver, ne supporte l’impératif!

Mais, dit-il, on peut toujours essayer!

Lis! Mais lis donc, bon sang, je t’ordonne de lire! » Résultat? Néant.

Mais, nous dit encore Daniel Pennac, cette aversion pour la lecture semble à notre génération d’autant plus inconcevable que de notre temps (notre milieu … notre famille):

… la tendance était plutôt à nous empêcher de lire (…) Oui, il faisait toujours trop beau pour lire, alors, et trop sombre la nuit.

J’ajoute, pour ma part, que dans ma famille, lire était considéré comme un loisir de privilégié. Lire c’était … ne rien faire! Lire c’était rêver, s’évader, ouvrir la porte sur un imaginaire stérile, voire dangereux. Il fallait apprendre aux enfants, si possible, d’autres plaisirs, des plaisirs d’effort, des plaisirs de travail. Il y avait toujours, certainement, quelque chose de mieux à faire: écosser des petits pois, aider à la mise en bocaux des mirabelles, prendre une aiguille et coudre …  Priver un enfant de lecture était alors considéré comme un acte éducatif: c’était lui apprendre à être actif, à ne pas fainéanter. Tout comme jouer, courir ou vagabonder avaient aussi, chez moi, mauvaise presse; mais c’est une autre histoire.

Et à l’école? À cette époque (1955, 1960-65), dans nos villages et petites villes, il semble que l’école non plus n’incitait pas les enfants à devenir des lecteurs: pas de bibliothèque dans ma communale, et presque rien dans mon collège (Collège d’Enseignement Général, CEG). Ailleurs? Je ne sais pas. Je sais qu’en 5ème, avide de bouquins, j’ai trouvé dans la maigre bibliothèque de mon CEG la Vie de Disraeli, étude historique de M. André Maurois. Et, oui, je l’ai lu. À 12 ans.

André Maurois   (1885-1967)

Je l’ai lu, sans exercer peut-être mon droit n°3 (je ne savais pas que je l’avais). Pour devenir des lecteurs, il fallait donc devenir, en gros, des rebelles, comme le décrit Daniel Pennac dans l’extrait ci-dessous.

M. Pennac, je vous redonne la parole, et vous remercie:

Notez que lire ou ne pas lire, le verbe était déjà conjugué à l’impératif. Même au passé, on ne se refait pas. En sorte que LIRE ÉTAIT DÉJÀ UN ACTE SUBVERSIF (C’est moi qui souligne). À la découverte du roman s’ajoutait l’excitation de la désobéissance familiale. Double splendeur! Ô le souvenir de ces heures de lectures chipées sous les couvertures à la lueur de la torche électrique! Comme Anna Karénine galopait vite-vite vers son Vronski à ces heures de la nuit! Ils s’aimaient, ces deux-là, c’était déjà beau, mais ils s’aimaient contre l’interdiction de lire, c’était encore meilleur! Ils s’aimaient contre père et mère, ils s’aimaient contre le devoir de math à finir, contre la préparation française à rendre, contre la chambre à ranger, ils s’aimaient au lieu de passer à table, ils s’aimaient avant le dessert, ils se préféraient à la partie de foot et à la cueillette des champignons… Ils s’étaient choisis et se préféraient à tout… Dieu de Dieu la belle amour!

Et que le roman était court.

Extrait de « Comme un roman, p.15 et 16.

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Enfant lisant, par Elisabeth Vigée Lebrun 1755-1842

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