Annexe 2

Robert Goolrick, écrivain américain, 1948-2022
Féroces (2016, 10/18 Éditions Anne Carrière) :
Exergue :
« Viens, Mort, et me ferme les yeux de tes doigts,
Ou si je dois vivre, que je m’oublie moi-même. » Christopher Marlowe, « Edouard II »

Les Goolrick étaient des princes. Et tout le monde voulait leur ressembler. C’étaient les années 50, les femmes se faisaient des coiffures sophistiquées, elles portaient des robes de taffetas ou de soie, des gants et des chapeaux, et elles avaient de l’esprit. Les hommes préparaient des cocktails, des Manhattan, des Gibson, des Singapore Sling, c’était la seule chose qu’ils prenaient au sérieux. Dans cette petite ville de Virginie, on avait vraiment de la classe. Chez les Goolrick, il y avait trois enfants, tous brillants. Et une seule loi : on ne parle jamais à l’extérieur de ce qui se passe à la maison. À la maison, il y avait des secrets. Les Goolrick étaient féroces.
4ème de couverture de « Féroces ».
Très courte présentation de ce livre :
L’écriture de Robert Goolrick déstructure le temps, les événements, accroche au désastre des lambeaux de souvenirs heureux, doutant sans arrêt de sa mémoire, et même de sa légitimité à raconter sa vie, cherchant désespérément à son existence – passée et présente – des cohérences, du sens! On emploie souvent l’expression « comme si la vie en dépendait » pour décrire la récurrence, l’opiniâtreté d’une idée, d’un comportement, d’une action. Chez Robert Goolrick, on peut retirer le « comme si », car oui, sa vie en dépend.
* Sur les traumatismes d’enfance liés aux abus sexuels, viols, incestes, commis sur des enfants, voir aussi sur ce site la présentation du livre de Neige Sinno, Triste tigre (2023), en suivant ce lien : https://wp.me/p7TeeU-5WO , page 3.
Quelques extraits du livre de Robert Goolrick, témoins d’une jeunesse fracassée, et de la difficulté à évoquer, écrire des souvenirs, expliquer le traumatisme autrement que par la férocité de l’époque, et surtout de la famille Goolrick.
(L’école)…
L’école a fermé il y a bien longtemps, et Mme Lackman est morte, mais j’aimerais tant me retrouver au milieu d’une fête du 1er mai, rien qu’une fois, avant de mourir. Je me revois dans mon splendide costume de loriot, claquant les ailes, les plumes voletant dans la brise, ou bien en jabot de dentelle blanche et baskets, portant ma couronne de fleurs au milieu des banderoles pastel qui tournoyaient. Mais je me trompe peut-être.
Mes souvenirs sont vagues, comme je l’ai dit, et peut-être inexacts. (…) Je ne sais plus.
(p. 172-173)
(Réminiscences)…
Je quittai la maison, montai dans la voiture et parcourus une quinzaine de kilomètres en direction de la rivière. Dans le noir, je m’assis sur les rochers, enveloppé du parfum des pins doux et sombres et de la pierre humide, dans ce lieu où j’avais tant nagé, où j’avais été si heureux, enfant, quand nous l’étions tous, à cette époque où je passais la nuit dans la cabane en cèdre de Sunshine ou de Fran Pancake, sans eau ni électricité, je revoyais les enfants se racontant des histoires de fantômes en s’éclairant à la lampe de poche, tandis que les adultes buvaient leurs dégraissants à la lueur vacillante des lampes à pétrole.
Je savais ce que j’avais fait. Je savais que ma mère avait raison. C’était à la fois une malédiction, et le récit factuel, flagrant de tout ce que je représentais à ses yeux, de tout ce que j’étais, et la nuit se drapa autour de moi comme une peau de serpent dont je ne pouvais me défaire.
(p. 113)
(Passé, présent, futur)…
IL ARRIVERA DES CHOSES TERRIBLES. Des choses dont on ne peut pas parler. Des choses qui apportent la mort. Nul ange ne vint, contrairement à ce qui se passait dans le rêve. Nul ange pour me ramener dans mon propre lit, à l’abri.
(p. 227)
