Des lieux d’inhumanité
L’article précédent (Le gosse, roman de Véronique Olmi : l’infini malheur d’une enfance), parlait assez longuement de la Colonie pénitentiaire de Mettray, lieu de détention et de rééducation d’enfants et d’adolescents. On y évoquait plus brièvement le pénitencier de la Petite Roquette à Paris, où le jeune héros du livre séjourna quelques mois.
L’article ci-dessous présente quelques documents (une vidéo, un poème, des références de textes) sur cette prison de sinistre mémoire, réservée aux enfants jugés délinquants, ou simplement un peu hors-normes, ou insoumis.



*********
Code civil, titre IX — De la puissance paternelle
Extrait de l’article 375
Version du 24 mars 1803 :
Le père qui aura des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d’un enfant, aura les moyens de correction suivants : si l’enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d’arrondissement devra, sur sa demande, délivrer l’ordre d’arrestation. Depuis l’âge de seize ans commencés jusqu’à la majorité ou l’émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s’adressera au président dudit tribunal, qui, après en avoir conféré avec procureur de la République, délivrera l’ordre d’arrestation ou le refusera, et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père.
https://criminocorpus.org/fr/ref/25/17556/ Cette loi est restée en vigueur jusqu’en 1935.

Les Enfants Maudits : quand la France rééduquait ses jeunes vagabonds : un document vidéo remarquable.
« Enfants maudits » : dans l’enfer d’un pénitencier pour mineurs. (film diffusé par France Télévisions en novembre 2019) : dans ce documentaire, le réalisateur Cyril Denvers fait surgir du passé des mineurs détenus à la Petite Roquette, à Paris. Un pénitencier pour enfants considéré au XIXe siècle comme moderne par son architecture et ses méthodes. En réalité, « un lieu secret, indigne de la République » (voir ci-dessous 2 documents vidéo de présentation).
Dans le haut de la rue de la Roquette, dans le 11e arrondissement, à Paris, il a existé une prison pour enfants, un pénitencier pour mômes agités et vagabonds : ce lieu s’appelait la Petite Roquette. Lors de son ouverture, en 1836, elle a, par sa forme hexagonale et ses méthodes de « rééducation », le double statut de prison moderne et modèle. Mais pour les générations d’enfants qui y séjourneront, la vie y est un enfer. Outre le régime d’isolement et d’encellulement individuel, l’administration impose aux mineurs le silence absolu (certains en perdront l’usage de la parole). Avec l’écriture comme seul moyen d’expression et espoir de salut, les enfants adressent régulièrement des lettres à leur famille, suppliant leurs proches de venir les récupérer.
(Telerama 19/11/2019)
Dans les années 1960, lors de la vente d’une maison en Normandie et le débarras de sa grange, la famille de Yann Bisiou, maître de conférences en sciences criminelles, tombe par hasard sur ces lettres d’enfants, signées ou anonymes, écrites entre 1909 et 1912. Si ces missives se trouvaient dans une grande chemise au fond d’une malle poussiéreuse, c’est qu’elles avaient été censurées par la direction de la prison, et donc jamais envoyées à leurs destinataires…
S’emparant de ces archives inédites exceptionnelles, le réalisateur Cyril Denvers parvient à restituer la mémoire de ces adolescents morts d’oubli, de faim et de cruauté dans un lieu secret, indigne de la République. Mieux, Cyril Denvers a demandé à des comédiens de l’association 1 000 Visages de lire ces textes devant la caméra pour un résultat saisissant. D’un bout à l’autre, le film, bouleversant, récompensé au festival de Luchon (prix de la réalisation et prix du public), porte la voix de ces jeunes, la colère et le désespoir, comme la beauté de leur plume.
Concernant ce documentaire,voir aussi le site : http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/enfants-maudits-dans-lenfer-dun-penitencier-pour-mineurs-32805.html
La chasse à l’enfant
En 1934, une révolte survient à la « Colonie maritime et agricole » de Belle-Île-en-Mer : 56 enfants et adolescents s’évadent et se dispersent sur toute l’île. Une véritable chasse à l’enfant a lieu et les enfants sont ramenés par des gardes mobiles et même par des vacanciers. Violentes et répressives, les conditions de vie de ce bagne d’enfants émeuvent la presse et l’opinion.
Jacques Prévert en fera un poème (édité dans le recueil Paroles, 1946), que Joseph Kosma mettra en musique.
Poursuivre les lectures …

Après la seconde guerre, vint l’ordonnance du 2 février 1945 « relative à l’enfance délinquante »
« …La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente. Le projet d’ordonnance, ci-joint, atteste que le gouvernement provisoire de la République Française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants »
Extrait du préambule de l’ordonnance du 2 février 1945
Ce texte préconise la primauté de l’éducation sur la répression.
Il s’agit d’en finir avec les maisons de corrections et l’idée de la « rédemption ». L’ordonnance du 2 février 1945 « relative à l’enfance délinquante » affirme clairement que les enfants doivent faire l’objet d’une justice spécifique. L’État entend s’en donner les moyens, en instituant un magistrat spécialisé (le juge des enfants) et des professionnels éducatifs (les éducateurs et éducatrices).
Cette volonté politique rencontre un véritable consensus social. La France n’a pas peur de sa jeunesse. Cependant, la réforme des institutions est lente ! Il faudra plus de vingt ans pour concilier la philosophie de l’ordonnance de 1945 et les méthodes éducatives dans les institutions.
Depuis 1945, ce texte fondateur de la justice des mineurs a déjà été remanié une quarantaine de fois.
