La crise sanitaire et ses conséquences nous ont privés, depuis bientôt 2 ans, de spectacle vivant. Le festival d’été à Bussang (Vosges, France) n’a pas eu lieu, pas plus que n’ont été jouées les pièces prévues pendant l’automne et l’été qui ont suivi.
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Le spectacle vivant relève vraiment la tête au printemps 2021.

NB: les notes sont en fin d’article.
Au Théâtre du Peuple, les comédiens, professionnels et amateurs, recommencent à répéter, des spectacles sont travaillés et prennent forme : Peer Gynt, pièce de 1867, du Norvégien Henrik Ibsen, en juillet. En août sera jouée une autre pièce longue, Leurs enfants après eux, d’après le roman (prix Goncourt 2018) du Vosgien Nicolas Mathieu; ainsi qu’une forme théâtrale et musicale : Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, du Suédois Stig Dagerman. Et la saison d’été 2021 reprend sur scène le 3 juillet! (Image d’une répétition de Peer Gynt, note 1)
Le 17 juillet 2021, retour ému à Bussang, sous un soleil étincelant et quelques cumulus bien joufflus…

Peer Gynt : Être soi-même
Extraits

Ici je respire librement dans le vent qui souffle.
Ici, on entend le sapin murmurer. Ici, je suis chez moi.
Henrik Ibsen, Peer Gynt.
La pièce d’Ibsen est un récit aux multiples tonalités, qui bousculent le spectateur : réaliste et métaphysique, chrétien et païen, imaginaire et fantasmatique… L’unité est dans son écriture poétique qui sert deux thèmes : la vérité versus le mensonge, et la quête de ce que Peer Gynt nomme « être soi-même« . Oui, Peer Gynt est un long poème initiatique.
Ibsen raconte d’abord l’adolescence tumultueuse de Peer, garçon pauvre et oisif, vantard, aimant l’aventure vécue ou non, dont la tête est remplie d’histoires, de rêves inassouvis. Il invente (ment-il?), il élucubre, raconte des exploits imaginaires, court après les filles, et néglige sa maison et sa mère.
Une pente boisée près de la ferme d’Åse. (sa mère) Une rivière bouillonne en contrebas. (…) Peer Gynt, un garçon de vingt ans, solidement bâti, descend le sentier. Åse, petite et frêle, le suit. Elle est fâchée et elle rage.
(…)
Åse, face à Peer :
Tu n’as pas honte, devant ta mère? D’abord tu cours dans les rochers des mois entiers, au plus fort des travaux, chassant le renne dans les neiges, tu rentres à la maison la fourrure en lambeaux, sans fusil, sans gibier – et à la fin, les yeux grands ouverts, tu voudrais que je croie tes mauvais rêves de chasseur?
Acte1, scène 1
Puis sa mère meurt, et Peer quitte sa Norvège natale, abandonnant son amoureuse, la pieuse et sage Solveig. Il part à l’aventure de par le monde. Ibsen écrit cette très longue errance humaine. Peer décide d’être, mais être quoi? Et répondant à cette question : être soi-même! La pièce raconte cette quête éperdue, qui s’achève, après tempête et naufrage, par le retour de Peer, pauvre et (presque) nu, dans son pays natal. Peer ne s’est pas distingué. Il a vécu, a posé des actes, du bien et du mal. Il n’a rien acquis, et se cherche, encore et toujours.
Peer Gynt est un être inquiet, tourmenté, et aussi, paradoxalement, insouciant, fataliste. Il est certainement difficile à vivre, mais très courageux, faisant preuve aussi parfois d’un humour qui le met à distance, et le rend modeste. Et il ne change pas, quel que soit son idéal, il y tient, et le tient fermement…
Veille de Pentecôte, au cœur des grands bois (…) Peer Gynt se traîne dans les fourrés et arrache des oignons sauvages.
Peer Gynt :
(…) Le vieil enfant est revenu se réfugier vers sa mère. – Je sais, il est écrit : tu es venu de la terre.
Ce qui compte dans la vie, c’est de se remplir le ventre. Mais se bourrer d’oignons ? C’est un peu maigrichon. Je vais montrer ma ruse et tendre des collets. Voici l’eau du ruisseau : je n’aurai donc plus soif, et je serai le premier parmi les bêtes sauvages. Et lorsque je sentirai que je meurs – ce qui arrivera bien un jour – je ramperai sous un arbre abattu par le vent, et sur son écorce je graverai en énormes lettres: « Ci-gît Peer Gynt, brave type, empereur des autres animaux… » Empereur ? (Il rit) Ah ! Tu n’es pas un empereur, tu es un oignon ! Et je vais te peler, mon petit gars ! Et pas la peine de pleurnicher !
Acte V, scène 5
Peer Gynt est comme nous, un être humain unique, et quelconque. Mais il n’a rien perdu de son audace, de sa faconde, traitant le diable (Le Maigre) de chien stupide!

Puis :
Peer Gynt :
(…) je suis exclu, si on peut dire, de l’aristocratie du Soi.
On voit passer une étoile filante, il lui fait un signe de tête.
Salut à toi, frère météore, Peer Gynt te salue! Fulgurer, s’éteindre, et passer dans le gouffre…
Il a une bouffée d’angoisse et s’enfonce plus profondément dans le brouillard (…)
Y a-t-il quelqu’un, quelqu’un dans la multitude – quelqu’un dans l’abîme, quelqu’un dans le ciel ! (…) Pauvre sans recours, une âme peut donc s’en retourner à rien dans le gris des brouillards.
Terre délicieuse, ne sois pas irritée que j’aie marché en vain sur ton herbe.
Soleil délicieux, tu as gaspillé tes gouttes de lumière dans une maison déserte. Il n’y avait personne à l’intérieur qu’on réchauffe et qu’on fête. –
Ils disent aujourd’hui : le maître n’était jamais chez lui.
Soleil délicieux, terre délicieuse, c’est en vain que vous avez porté ma mère, et que vous l’avez éclairée. L’esprit est avare, la nature est prodigue. On paie cher de sa vie le prix d’être né.
Je veux aller là-haut, très haut, sur la crête escarpée ; je veux encore une fois voir le soleil se lever, m’épuiser les yeux vers la Terre Promise, voir sur moi la neige en tas, tomber.
Ils écriront dessus : « Ici ne gît personne », et puis après – après – advienne que pourra.
Acte V, scène 10
L’amour même
Peer Gynt n’est peut-être rien ni personne, mais il n’est pas seul. La belle et douce Solveig l’attend et l’accueille, et chante. La Chanson de Solveig est un extrait de la musique de scène composée par Edvard Grieg en 1867 pour la pièce d’Ibsen. Elle fait partie de Peer Gynt, Suite n°2, opus 55.
Peuvent s’écouler à la fois hiver et printemps, Et puis l’été prochain, et même tout un an ; Mais un beau jour tu viendras, cela je le sais ; Et bien sûr j’attendrai, car ce fut ma dernière promesse. Dieu te protège, où que tu ailles de par le monde ! Dieu te bénisse, si tu te tiens devant son trône ! Ici-bas j’attendrai encore ton retour ; Et si c’est là-haut que tu attends, C’est là que nous nous retrouverons, mon Ami ! (traduction littérale, Wikipedia)
La fin de Peer Gynt est un mystère. Au Théâtre du Peuple, le fond de scène s’ouvre, et la nature, comme le giron d’une mère, accueille l’homme.
Peer Gynt : Ma mère, mon épouse, la femme sans péché ! Cache-moi, cache-moi, cache-moi tout en toi !

Je salue tous les artistes de ce Peer Gynt à Bussang, cette pièce dont Ibsen disait qu’il n’avait jamais rien écrit de plus fou! Et particulièrement, le choix d’Ulysse Dutilloy, comédien amateur de la troupe du Théâtre du Peuple, jouant le rôle de Peer Gynt à 20 ans ; et le choix du comédien professionnel Olivier Dutilloy, jouant le rôle de Peer Gynt au crépuscule de sa vie. Le fils et son père, symbole extraordinaire d‘unité de la pièce, fil d’Ariane de l’humain, tel qu’en soi-même.

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(1)

(2) Ibsen H., Peer Gynt, édition et traduction de François Regnault, 2015, Gallimard, collection Folio théâtre.
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