Trouvé sur le site Beauty will save the world: https://schabrieres.wordpress.com/ Sur ce site, vous pourrez lire aussi la version originale de ce poème, en portugais.

Quando vier a primavera (1915)

Lorsque viendra le printemps, 
si je suis déjà mort, 
les fleurs fleuriront de la même manière
et les arbres ne seront pas moins verts qu'au printemps passé.
La réalité n'a pas besoin de moi.

J'éprouve une joie énorme
à la pensée que ma mort n'a aucune importance.

Si je savais que demain je dois mourir
et que le printemps est pour après-demain,
je serais content qu'il soit pour après-demain.
Si c'est là son temps quand viendrait-il sinon en son temps?
J'aime que tout soit réel et que tout soit précis;
et je l'aime parce qu'il en serait ainsi, même si je ne l'aimais pas.
C'est pourquoi, si je meurs sur-le-champ, je meurs content,
parce que tout est réel et que tout est précis.

On peut, si l'on veut, prier en latin sur mon cercueil.
On peut, si l'on veut, danser et chanter tout autour.
Je n'ai pas de préférence pour un temps où je ne pourrai plus avoir de préférences.
Ce qui sera, quand cela sera, c'est cela qui sera ce qui est.

Fernando Pessoa (1888-1935), Le Gardeur de troupeaux (Gallimard, collection Poésie), traduit du portugais par Armand Guibert.

Picasso Pablo, Le Printemps, Huile sur toile, 1956.