En grandissant, on perd la faculté de s’émerveiller, de s’étonner, de se rendre attentif aux nouveautés, d’exciter notre curiosité.

Vous me direz, c’est un peu normal parce que ce sont les enfants qui s’étonnent de tout! Précisément, parce qu’ils ne savent pas grand-chose, que tout leur semble nouveau. Alors qu’en grandissant on sait de plus en plus de choses, ou bien on sait que l’on ne pourra pas tout savoir. C’est la vie !

Et on finit par s’y habituer, aussi bien à ce que l’on sait qu’à ce que l’on ne sait pas. Et puis il faut bien vivre, il faut bien aller travailler, travailler dans le jardin, travailler au bureau, faire les courses, sortir le linge de la machine, imprimer le travail envoyé par les maîtresses des enfants. Bref, on n’a pas que ça à faire de se demander pourquoi ceci et pourquoi cela. Et puis, il faut bien reconnaître qu’avec l’âge, on a tendance à nourrir plus de certitudes que de doutes.  C’est le privilège, pense-t-on, de l’expérience sur la jeunesse, que de savoir à quoi s’attendre et comment tout finit par finir.

Alors, pourquoi donc revenir en arrière et s’étonner? Précisément, parce que l’étonnement est la condition du savoir, et que le savoir ne se nourrit pas de certitudes bien enracinées. Le savoir se nourrit de questions, d’hypothèses, de doutes, de problèmes, d’arguments, et finalement de possibilités nouvelles.

Comme le disait l’ami Aristote il y a plus de 2000 ans, c’est l’étonnement qui déclenche la réflexion, et c’est la réflexion qui nous libère des explications toutes faites. Ainsi, le questionnement, la grande chaîne de tous les Pourquoi? n’a rien de spontané ou d’évident. On ne se pose des questions que parce que le réel nous étonne, ou parce qu’on continue à se laisser étonner par lui… Rien de pire en effet que ceux qui ne se posent jamais de questions, et qui vivent de certitudes périmées!

Mais encore faut-il retrouver cette capacité à s’étonner… Ça ne se décide pas en un claquement de doigts, ça demande du travail, de l’entraînement et de la pratique.

Le bon traitement pour retrouver la capacité à être étonné par le réel suppose de se défaire justement de ces certitudes que l’habitude, ou l’éducation ou bien encore les conventions ont installées en nous. Se rendre plus attentif, examiner ces croyances et les explications qui nous semblent être définitives. On peut le dire autrement : la curiosité n’a rien d’un vilain défaut, au contraire, elle se travaille et s’entretient tout au long de la vie, à chaque nouvelle rencontre avec une personne, une situation ou un objet. On dispose pour cela d’un mot et de dizaines de possibilités. C’est ce fameux Pourquoi? qui nous intéresse, c’est l’outil qui va nous permettre d’exprimer cette curiosité retrouvée . Mais cela demande du courage aussi, car cela suppose d’accepter la confrontation avec l’incertitude et la diversité des possibles.

Comme le fait remarquer cette fois le philosophe anglais Bertrand Russell, s’interroger c’est accepter aussi parfois qu’il n’y ait pas de réponse, ou du moins pas de réponse simple, ou de réponse confortable. C’est accepter de se laisser déranger par des possibilités peu familières, et qui, à défaut de nous rassurer, ouvrent des horizons nouveaux à notre compréhension du monde. Pourquoi donc clamer partout notre liberté, si ce n’est pour sortir un peu des sentiers battus!

Thibault de Saint-Maurice, professeur de philosophie.

France Inter, mercredi 27/5/2020

La curiosité est une sacrée qualité!