J’aime ces êtres tellement épris de ce que leur cœur imagine la liberté, qu’ils s’immolent pour éviter au peu de liberté de mourir. Merveilleux mérite du peuple. (Le libre arbitre n’existerait pas. L’être se définirait par rapport à ses cellules, à son hérédité, à la course brève ou prolongée de son destin… Cependant il existe entre tout cela et l’Homme une enclave d’inattendus et de métamorphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le maintien.)

René Char, 1962, Feuillets d’Hypnos, dans Fureur et mystère, Paris Éditions NRF Gallimard, Poésie, 1948

René Char, né le 14 juin 1907 à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) et mort le 19 février 1988 à Paris, est un poète et résistant français.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Feuillets_d%27Hypnos

René Char filmé, disant un extrait de son texte Suzerain:

Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable. Tout ce qui nous aidera, plus tard, à nous dégager de nos déconvenues s'assemble autour de nos premiers pas.
La conduite des hommes de mon enfance avait l'apparence d'un sourire du ciel adressé à la charité terrestre. On y saluait le mal comme une incartade du soir. Le passage d'un météore attendrissait. Je me rends compte que l'enfant que je fus, prompt à s'éprendre comme à se blesser, a eu beaucoup de chance. J'ai marché sur le miroir d'une rivière pleine d'anneaux de couleuvre et de danses de papillons. J'ai joué dans des vergers dont la robuste vieillesse donnait des fruits. Je me suis tapi dans des roseaux, sous la garde d'êtres forts comme des chênes et sensibles comme des oiseaux.
Ce monde net est mort sans laisser de charnier. Il n'est plus resté que souches calcinées, surfaces errantes, informe pugilat, et l'eau bleue d'un puits minuscule veillé par cet Ami silencieux.

Extrait de Suzerain, poème de René Char, dans Fureur et mystère, Le poème pulvérisé. Gallimard Éditeur, Collection Poésie.