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Au Théâtre de la Manufacture, Centre dramatique national, Nancy.

Michel Didym, le metteur en scène, dit du texte des Eaux et Forêts qu’il est exquis et cruel. Je n’avais jamais vu le théâtre de Marguerite Duras, j’ai été conquise par sa profondeur et la joie qu’il dégage. C’est enlevé, très bien écrit, dans une langue poétique et élégante.

L’interprétation des 3 comédiens, ainsi que la mise en scène et la scénographie (Anne-Sophie Grac) sont parfaites.

C’est un théâtre, une poétique de l’absurde :

Comme nos vies, capables de basculer à tout moment, le banal, le transfiguré, devient extraordinaire…(Michel Didym)

Nous sommes dans les années soixante, les années post-atomiques (M. Didym). Tout part d’un banal incident de la rue : en plein Paris, le chien-chien de Marguerite-Victoire Sénéchal, femme altière et mystérieuse, mord un passant sur un passage clouté. Cela pourrait paraître banal : engueulades, plaintes et récriminations diverses, circulez y a rien à voir…

Mais bien sûr, c’est tout sauf banal, donc restez, vous allez voir! Tout dérapera bientôt. Une autre femme intervient dans l’incident. C’est Marie Duvivier, pas très sympathique, cachant un secret elle aussi. Le passant veut partir, il n’a presque rien, la morsure de Toto ne nécessite pas tout ce foin que l’on fait! Mais elles insistent, Marie est gagnée aussi par l’urgence d’emmener l’Homme à l’hôpital… Ces femmes, sorcières, possiblement tueuses… ces femmes qu’aimait raconter Duras.

Très vite, l’absurde est là; on n’est plus sûr de rien. Et soudain comme chez Tchékov, écrit Michel Didym, les cœurs sont lourds et les destins cruels. Les dérapages brusques, les incertitudes, gagnent les trois personnages.

Les paroles et les actes des protagonistes se redéfinissent en permanence, s’inventent ou inventent aux autres des histoires insensées. Un délire à trois, où l’Homme s’investit dans une chanson paillarde, et les femmes confient leurs secrets.

Les Eaux? Les Forêts? Quelles… Ah! si! peut-être la dédicace : Marguerite Duras dédia sa pièce au poète Louis-René des Forêts. C’est peut-être cela, l’explication. Ou pas…

Mais Marguerite Duras place sa pièce sous le signe du poétique, et les arbres sont des motifs fréquents dans son œuvre. Dans Les Eaux et Forêts, voici ce qui est dit des arbres :

L’Homme : Le Bois de Boulogne arrive sur ses grands chevaux, déferle sur les Champs-Élysées, atterrit à la Concorde et là foisonne, foisonne, en un Himalaya… et alors que dans son enchevêtrement désormais inextricable des automobiles sont captives, 403, DS19, Dauphines, et tout le bordel, et que seuls, inutiles, de jour et de nuit, les feux rouges et verts continuent, Piétons, Attendez, Piétons Traversez, continuent, continuent, une dernière phrase est prononcée.

Silence sur la scène (…)

Femme 2: Quelle honte! Quelle phrase?

L’Homme (terne, plat): Boum, boum, boum.