Émission « Dans tes rêves » de Laurence Garcia, le 8 octobre 2016 (RF France Inter)
Avec Macha Makeïeff et Ariane Ascaride.
C’était une émission « interview » mais surtout un échange d’idées : la création, le théâtre et les acteurs, Marseille et ses immigrants, la liberté, la lutte …
Je me fais l’écho de quelques extraits, qui ont résonné en moi:
Ariane Ascaride :
« Tout le monde est autorisé à faire bouger les choses ; Il faut croire en ses rêves ; Se donner l’autorisation de ne pas être simplement un exécutant ; Toute personne peut être un créateur ».
Macha Makeïeff :
« J’aime infiniment les acteurs et les actrices (…) Ils sont pleins d’aveux, ils nous déclarent sans arrêt nos fragilités ; Ils sont les caisses de résonance de notre mélancolie ; De nos rêves aussi ; Je pense que c’est vraiment une engeance magnifique »
« La phrase qui accompagne tout la saison cette année, c’est « Nos rêves infinis » … Solliciter celui qui pousse la porte du théâtre à aller vers son imaginaire, à faire un bout de chemin vers nous les acteurs et les auteurs, c’est une forme de création qu’on demande au spectateur »
La fabrique de l’Imaginaire :
Ariane Ascaride :
« Je suis la fille de Peter Pan! ; Jouer, c’était tellement simple! Quand je mets un pied sur un plateau de théâtre, c’est à moi! »
Macha Makeïeff :
« Je travaille un texte sur l’exil de Boulgakov (N.B. Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe, 1891-1940) qui raconte le destin … L’exil … Tout quitter : bien sûr sa famille, son pays, son identité ; sa langue, ses habitudes, sa maison, ses objets ; mais aussi quitter … je me rappelle : ne plus aller au concert, ne plus aller dans ces pays imaginaires absolument imaginaires, vitaux, que sont : les théâtres, les salles de concert ou les places publiques où se joue le théâtre aussi ; et se priver, être privé de ça, être retranché (c’est une thématique très forte) Les Russes blancs m’ont transmis l’héritage de ce qui a échappé, de ce qu’on a abandonné derrière soi, et la force poétique de ce qui est absent et qu’on peut ressuciter ; Le théâtre, c’est un lieu absolument magnifique, une espèce de conservatoire de nos rêves, le conservatoire de ce qui a existé et se met à ré-exister. C’est plus qu’une consolation, au fond on reste inconsolable ; C’est une façon de faire naître des fantômes, c’est un très bel exercice. »
Ariane Ascaride : « Je ne comprends pas l’injustice »
Extrait du film « Marius et Jeannette » de Robert Guédiguian, 1997 (cité dans l’émission)
« Qu’ils me virent, je les emmerde! J’ai toujours fait mon boulot! S’ils me virent c’est pas parce que je me tiens de traviole, c’est parce qu’ils ne supportent pas que je ferme pas ma gueule; et moi, je les emmerde tous! Si je ferme ma gueule, en plus du mal au dos j’aurai un ulcère! Et je gagne pas assez pour me payer des maladies de riches! »
Ariane Ascaride dit reprendre à son compte, encore maintenant, ces paroles de Jeannette dans le film! Laurence Garcia : « Être en colère contre l’injustice sociale, et pas contre l’étrange étranger qu’on nous vend … Ça a de la résonance encore aujourd’hui, ce film … »
» J’ai été élevée comme ça, je ne comprends pas l’injustice ! (…) Même si la colère n’est pas la meilleure chose … Mais il y a des moments, quand vous voyez des comportements humains épouvantables, il faut rentrer dedans! Et dire : « Qui êtes-vous pour agir comme ça, qui vous donne le droit? Vous êtes comme l’autre, en face, et vous pensez que vous êtes différent! Vous avez le pouvoir, le pouvoir de l’argent, c’est tout!
Les pauvres, aussi, parfois je suis en colère contre eux! Ils feraient bien de retrouver leur dignité, de ne pas se tromper de colère, de ne pas se dire, comme on dit à Marseille : « Eh! C’est comme ça ! » Il n’y a pas de fatalité!
Le public, les auteurs :
Ariane Ascaride :
» Il faut répéter encore et encore au public qu’il est légitime quand il rentre dans une salle de théâtre ou dans une salle de cinéma ; il y a la place pour tout le monde d’entrer au musée, au théâtre, au cinéma … Car ils (les gens, le public) entendent, ils s’entendent, ils ne sont pas dans une lecture codée. »
Laurence Garcia : « Quelle farce Molière écrirait-il sur notre mondialisation? Sur ces nouveaux « Misanthrope », sur ces nouveaux « Tartuffe », sur ces colères vaines, inexpliquées parfois … ?
Macha Makeïeff :
Je crois qu’il parlerait de la précipitation, de cette espèce d’effacement immédiat de ce qui vient d’exister, comme si ce qui arrive dans la seconde suivante était plus important, et peut-être de cette fracture-là, du non lien avec ce qui a été ;
Nous, dans les théâtres, on est, de ce point de vue-là, des passeurs de ce temps-là ; c’est-à-dire que tout d’un coup on convoque quelqu’un qui a vécu il y a quelques siècles, ou qui vit à côté de nous dans un autre pays. Il n’y a pas cet obstacle du temps et du territoire, il y a quelque chose d’immédiat artistiquement.
Dans un théâtre, on s’assoit, et on est à côté d’un anonyme ; C’est un exercice indispensable à toute vie : il faut savoir venir s’asseoir à côté de quelqu’un qu’on ne connaît pas, pour voir quelque chose qu’on va découvrir.
Cette géographie magnifique, il n’y a qu’au théâtre qu’on l’a vraiment, c’est une parade à la mélancolie, et pour parler de rêverie, vraiment c’est ça!
Un don, un pouvoir à donner aux autres?
Ariane Ascaride :
« Donner à tout le monde le don de fantaisie!
On (les acteurs) vit avec les auteurs, les poètes, toute la journée, Victor Hugo, Molière… Mais tout le monde pourrait faire ça toute la journée, ce serait … Dans les pays dits « moins développés », j’ai vu la poésie, là, tout le temps, elle accompagne les gens, ils vous disent des poèmes …
… Nous, on ne raconte plus d’histoires. »
Et pour écouter l’émission: https://itunes.apple.com/fr/podcast/faut-recolorer-le-monde-ariane/id914984990?i=1000376383782&mt=2
Annexes:
Macha Makeïeff
Née en 1953 à Marseille, Macha Makeïeff est élève au Conservatoire d’Art Dramatique de Marseille, puis étudie la littérature et l’histoire de l’art à Paris. Antoine Vitez lui confie sa première mise en scène au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Elle est auteur et metteuse en scène, avec Jérôme Deschamps, de plus de vingt spectacles créés par leur Compagnie Deschamps et Makeïeff, qu’ils fondent et dirigent ensemble.
Dans les années 90, c’est l’aventure des « Deschiens » avec Canal+
En 2000, elle fonde avec Jérôme Deschamps et Sophie Tatischeff « Les Films de mon Oncle », dédiés à la restauration et au rayonnement des films de Jacques Tati.
Macha Makeïeff est Directrice artistique du Théâtre de Nîmes de 2003 à 2008.
Parallèlement, elle expose son œuvre de plasticienne dans des espaces très différents: la Fondation Cartier, le Musée des Arts Décoratifs de Paris, le Carré d’Art de Nîmes …
Elle met aussi en scène de nombreux opéras, et intervient comme scénographe pour plusieurs musées et expositions. Elle a publié des essais sur le théâtre et la poétique des objets, et collabore à différentes revues.
En 2010, Macha Makeïeff fonde sa propre Compagnie de théâtre, la Compagnie Mademoiselle, et prend en juillet 2011 la direction du Théâtre de la Criée à Marseille.
Actuellement, elle réalise la mise en scène, les costumes et les décors de « Trissotin ou les femmes Savantes », de Molière (en tournée à partir de février 2017)
Ariane ASCARIDE
Ariane ASCARIDE est née en 1954 à Marseille. Elle découvre le théâtre dans son enfance grâce à son père, acteur amateur.
Après le Conservatoire de Marseille, Ariane fait des études de sociologie à l’Université d’Aix-en-Provence.
Elle épouse en 1975 le metteur en scène Robert Guédiguian, et entre au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris (Classes d’Antoine Vitez et de Marcel Bluwal)
Dans les années 1970, elle débute au théâtre dans les pièces de son frère Pierre Ascaride.
Ariane Ascaride tourne de nombreux films (avec René Féret, Dominique Cabréra …) et bien sûr avec Robert Guédiguian. Elle reçoit en 1998 le César de la meilleure actrice au Festival de Cannes, pour le rôle de Jeannette dans « Marius et Jeannette »
Parallèlement à une carrière cinématographique très fournie, Ariane Ascaride poursuit son parcours théâtral. Elle interprète actuellement le rôle d’Esprit-Madeleine Poquelin, la fille de Molière dans la pièce « Le silence de Molière », de Giovanni Macchia, mise en scène par Marc Paquien, au Théâtre de la Tempête (Paris 12ème, Cartoucherie).