Cet article rend compte de deux écrits majeurs de l’écrivain suédois Stig Dagerman (1923-1954)

Sur le roman L’enfant brûlé (1948): des notes personnelles (page 1), suivies de larges extraits du roman (page 2); enfin (page 3), je cite une performance théâtrale, récemment adaptée du roman L’enfant brûlé, avec le même titre, par la metteuse en scène Noëmie Ksikova.

De Stig Dagerman toujours, l’essai Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1952) a aussi été adapté au théâtre. Un court extrait vidéo du spectacle électrorock, proposé en 2020 par Simon Delétang au Théâtre du Peuple de Bussang, est en page 4 de cet article (d’autres adaptations de ce texte sont disponibles, par exemple sur You Tube).

L’enfant brûlé, c’est un homme très jeune, un enfant blessé par un chagrin sans mesure et sans limites: sa mère, Alma, est morte, dans la boutique du boucher, seule:

C’est là à l’intérieur que ma mère est morte. C’est là que ma mère est morte pendant que mon père se rasait, assis à la cuisine, pendant que moi, son fils, j’étais assis dans ma chambre et jouais au poker avec moi-même. C’est là, à l’intérieur, qu’elle est tombée d’une chaise, sans qu’aucun de nous n’ait été là pour la retenir. C’est là qu’elle est restée étendue par terre, dans la neige fondue et la sciure, pendant qu’un boucher, le dos tourné, découpait un mouton.

L’enfant brûlé, p. 23 – Traduit du suédois par E. Backlund.

Et le père, libéré, essaie très vite d’imposer dans la famille sa maîtresse, Gun. Et Bengt, le fils, sait que Gun n’est pas une nouvelle venue, que son père et elle étaient amants bien avant la mort d’Alma. Le quatuor de protagonistes est complet avec la fiancée du fils, la falote et inconsistante Bérit.

L’enfant brûlé, dévasté, dangereux, ce peut être l’auteur, Stig Dagerman, que sa mère abandonna pour travailler en ville, quelques mois après la naissance, dans la ferme de ses futurs beaux-parents (qui restèrent tels, car le mariage n’eut jamais lieu, et les parents de Stig s’éloignèrent définitivement l’un de l’autre; son père, marié, le reprit quand il eut 9 ans, et il rencontra sa mère à l’âge de 19 ans, à son initiative personnelle *).

* Ces éléments biographiques sont tirés de la préface d’Hector Bianciotti à L’enfant brûlé (Édition Gallimard, 1981).

Voilà pour la référence à l’histoire personnelle de l’écrivain suédois, auteur, pendant une courte période, de nombreuses œuvres littéraires et d’écrits journalistiques reconnus. Dagerman fut aussi un militant anarcho-syndicaliste, un homme engagé. Il publia pendant quelques années (entre 1945 et 1949), puis cessa brusquement d’écrire, et mit fin à ses jours en novembre 1954, il avait 31 ans.

Ma lecture de L’enfant brûlé

Ce fut, pour moi, un texte exigeant : une lecture étirée, lente, parfois éprouvante, comme un récit intime. L’écriture de Stig Dagerman est complexe, mais jamais opaque. Elle m’a paru souvent minutieusement descriptive, blanche, parfois (souvent) cruelle *, décrivant-disséquant le réel dans une espèce de kaléidoscope en noir et blanc, explosion-implosion des personnages et des événements. Une écriture cubiste, voulant représenter tous les aspects du réel, le visible et le caché.

On sait dès le début que L’enfant brûlé est une oeuvre majuscule. Et une fois le livre refermé, il est encore là, il reste, avec ses questions brûlantes, sa force dérangeante, la rage et l’amour, le feu et la glace.

Le récit, jusqu’au départ dans l’île, est très angoissé, retenu, on craint la force et la violence de cet enfant brûlé. Une violence dévorante, contenue par les mots, essayant de donner un sens à la destruction, de recoller les morceaux d’un puzzle mortifère. Détruit, imprévisible, dangereux. Lors du séjour de vacances en huis-clos dans une île, Bengt passera à l’acte, de façon veule, cruelle, inutile… Puis la force positive du désir commencera à se faire jour, battant en brèche les pulsions de mort. Ou tentant de le faire, car il faudra compter aussi avec un Œdipe sauvage, purificateur mais certainement destructeur aussi.

* Voir par exemple ci-dessous l’extrait: Bérit, la fiancée de Bengt.

« Seuls les enfants brûlés peuvent réchauffer les autres. »