Transcription de la chronique:
(La mise en page est de mon crû)

Il y a sept ans, une semaine après Me Too, des femmes signent une pétition en faveur de la liberté d’importuner.
Il y a trois semaines, Macron dit qu’il ne supporte pas la chasse à l’homme ; il ne mentionne pas la chasse à la femme…
Il n’y a pas si longtemps, les femmes étaient encore entravées dans la marche par la hauteur des talons, portaient des robes serrées à la taille, des corsages moulant la poitrine, des jupes bouffantes.
Récemment, l’écrivaine Laure Murat se posait la question : « Pourquoi une femme habillée en homme, comme Julie Andrews dans Victor, Victoria, est-elle perçue comme troublante, élégante, sexy, séduisante ? Alors qu’un homme habillé en femme n’a qu’à paraître pour déclencher l’hilarité générale? L’universitaire Judith Butler répond : La femme est déjà un spectacle.
Sofia Coppola, dans ses interviews, ne fait pas de politique. C’est un peu l’anti-Justine Triet: pas un mot plus haut que l’autre, pas de vague frontale, pas de crise médiatique, pas de prise de position sur le monde. Son film, Priscilla est ce qu’on appelle un biopic : la vie de la femme d’Elvis, à partir de leur rencontre en Allemagne occupée. Elle est encore à l’école, Elvis fait son service militaire. Ils tombent amoureux. Les parents acceptent qu’elle rentre aux États-Unis avec lui. C’est un beau mariage, aurait dit Éric Rohmer.
Ce qui est extraordinaire, dans le film de Sofia Coppola, c’est que le destin exceptionnel de la star mondiale et de celle qu’il épouse – un conte de fées, beauté, luxe, célébrité – ne change rien aux figures imposées des rapports entre hommes et femmes de l’époque : l’homme le plus exceptionnel et la femme qu’il épouse ne s’écartent en rien du canevas.
En 1998, Pierre Bourdieu, dans La domination masculine, parle des exigences que reconnaissent tacitement les femmes qui ne veulent pas d’un mari plus petit qu’elles. La femme doit être plus petite par la taille, se hisser par des talons-aiguilles, et le pied, apprendre à se cambrer. Je ne pouvais pas m’empêcher, en regardant le film, de penser que c’était l’usage il y a encore dix ans ; qu’il paraissait normal d’avoir une démarche entravée. Sofia Coppola ne le surligne pas : cela nous saute aux yeux, sans commentaire; en cela, c’est une cinéaste politique.
Ce que vit Priscilla, isolée dans sa maison à Graceland, c’est le lot commun : le père qui décide, l’éducation ménagère des filles, les hommes plus grands en taille, sinon c’est l’échec de l’image, le ridicule et les rires sur le passage du couple. Le génie de Sofia Coppola, c’est de filmer cela comme une circonstance, liée à la caractéristique Elvis, unique, extravagante ; alors que c’est une banalité, et qu’on commence à peine à y échapper.
L’homme était un dieu, le père était un dieu ; l’intérieur de la maison était le lieu des femmes ; le bout de table, la place du chef de famille ; être la fille de son père était plus valorisant qu’être celle de sa mère, ressembler au père aussi ; être désirée par l’homme fort de la maison était une marque de valeur.
Voir le film de Sofia Coppola aujourd’hui, dont l’intrigue se déroule dans un cadre pourtant exceptionnel, nous rappelle d’où l’on vient : le pantalon était interdit aux femmes, elles étaient toutes en jupe ou en robe. Ma mère me racontait qu’un chef du pool dactylo avait coutume, pour rire!, de passer sa main sous les jupes et de descendre la culotte ; et que tout le bureau éclatait de rire !
C’est de là qu’on vient.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture/l-edito-culture-du-jeudi-01-fevrier-2024-2117916
et :
https://www.dailymotion.com/video/x8rzb6d

Sur ce site, référence à un autre film féministe: https://wp.me/p7TeeU-2EJ
Pages : 12