L’héritage, c’est une mémoire qui nous dépasse et qui nous traverse. La famille est le creuset fondamental de toutes les histoires. On n’existe pas hors d’une nébuleuse familiale. Il n’y a que ça, je crois.

Marie-Hélène Lafon, écrivaine.

Marie-Hélène Lafon a publié: Histoire du fils. Ce livre a obtenu le prix Renaudot 2020.

« C’est, dans le Cantal, la chronique d’une famille; à travers quelques dates-clés (de 1908 à 2008), qui servent de fil conducteur à une filiation. Rencontres, deuils, accidents, filiation, mariage, naissance, à chaque fois la famille se retrouve. Les liens se renouent. Poids des secrets, des silences. » https://www.babelio.com/livres/Lafon-Histoire-du-fils/1252614

Je connaissais très peu l’œuvre de Marie-Hélène Lafon, dont j’avais seulement découvert un court et sublime roman Joseph. (2016, Éditeur Gallimard). J’avais apprécié une magnifique écriture, un style fluide et précis, offerts à la narration dense de la vie simple et ordinaire d’un journalier, un travailleur de la terre dur à la tâche, un destin âpre et si modeste. Dans ce livre, l’auteur rend magnifiquement hommage à ceux qui vivent et travaillent à la terre.

J’ai un peu moins aimé Histoire du fils, roman court et dense, dont le thème : la filiation, me concerne pourtant au plus profond, au plus ancien.

Ce fils, c’est André : fils de la fantasque, très secrète (« singulière et cadenassée »), et finalement antipathique Gabrielle, et de père inconnu (mais qui ne le restera pas). Gabrielle, mère à 37 ans de cet unique fils, l’abandonne à sa sœur Hélène, qui l’élève dans le Lot avec ses filles, dans une famille pleine d’amour et de simplicité. André connaît la vérité sur sa naissance, mais ne sait rien de son véritable père. Il porte le nom de sa mère, et la revoit deux fois par an, sans plaisir. Il construit donc sa vie ainsi, autour du mystère de sa naissance et de sa filiation.

Il préférerait qu’Hélène et Léon soient ses vrais parents, et les cousines ses vraies sœurs. Il préférerait, mais il a toujours su la vérité. Gabrielle est sa mère et on ne connaît pas son père. Il en a un, mais personne ne le connaît. Il vit certainement à Paris, mais pas avec sa mère; ou à Lyon, ou à Marseille, loin et dans une grande ville. S’il vivait dans un petit endroit comme Figeac, il ne pourrait pas être son père sans être connu de tous.

(p.59)

Privé de lignée paternelle? Cette affaire de famille est loin d’être banale, surtout à l’époque où l’auteure situe la naissance d’André. Beau, doué (comme son père…), aimé de tous, André grandit et mûrit dans une harmonie, une douceur incroyables, presque surnaturelles. En tout cas sans accrocs majeurs ; il épouse à la fin une femme elle aussi parfaite. Pourtant :

Depuis quelques jours, sans savoir pourquoi, André se demande si ce père aurait voulu le connaître lui, André, s’il voudrait le connaître. Il a un père inconnu et il serait donc lui aussi un fils inconnu.

(p.59)

Gabrielle révèle l’identité du père d’André à Juliette, le soir du mariage de celle-ci avec André :

Depuis le premier soir, celui des Noces, entre eux ils appelaient ça la chose, ou le trou du père, ou le gouffre de Padirac; et ils ne l’oubliaient pas. Ils vivaient avec ces silences et ce fantôme de père nanti d’une identité, d’un âge, d’une profession, d’une adresse à Paris et d’une propriété de famille dans le Cantal. Ce fantôme répertorié menait une existence intermittente dans les replis de leurs consciences (…)

(p.109-110)

Cependant, André ne fera que quelques tièdes tentatives pour connaître son père, et je laisse aux futur(e)s lecteurs et lectrices de ce livre leur jugement sur ce passage, où André et Juliette attendent comme l’apparition du père.

J’ai donc eu cette déception quant à l’intrigue. Selon ma lecture, les personnages masculins principaux frisent parfois la caricature, soit par leur indifférence aux autres (le père) ou à l’inverse dans la bonté, la générosité ravies (Hélène, André, Juliette son épouse…)

Joseph et Histoire du fils sont de la même plume. Soucieuse du détail, imagée, abondante, emphatique parfois : la technique de Marie-Hélène Lafon est impressionnante. Le schéma narratif discontinu présent dans Histoire du fils déconstruit la chronologie de la vie, laissant une place importante au lecteur, qui devra faire les liens entre les personnages et les événements. Le style n’est jamais banal, il est au contraire très travaillé. Mais il devient vite envoûtant dans son manque de concision, il capture l’émotion du lecteur, le charme, lui enlève de la liberté.

Un sujet aussi complexe et profond que la filiation avait-il besoin de ces détours?

Écrire, écrire… (Citations de Marie-Hélène Lafon)

Écrire, c’est transgresser un interdit quand on vient d’où je viens. Là-bas, la langue ne sert pas à ça : on parle des autres, du travail, mais pas de soi. Or, écrire c’est pourtant planter le couteau dans les plaies familiales et intimes…

La matière du monde, c’est ma matière. Je tente de le donner à voir, à toucher, à sentir, j’essaye de le penser en tableaux. Qu’on ait envie de le regarder, qu’il y ait de la couleur, qu’on le touche comme la croupe d’une vache ! #MarieHélèneLafon #HistoireDuFils @buchetchastel

Nos vies sont faites de traces et de silences. Et je pense qu’il ne faut pas crever les bulles de ces silences. Il n’y aurait pas de littérature sans silence, sans absence, sans marge.

Toute phrase se respire, se danse à voix haute. Le verbe s’est fait chair. J’ai un rapport vertigineusement sensuel à la langue. Je définirais l’écrivain comme un aventurier du verbe.

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