mercredi 27/01/16
3 spectateurs ravis (parmi tant d’autres…) à la Manufacture de Nancy pour Woyzeck de Georg Buchner.
Jean-Marie, Carmen et Michèle
Adaptation, mise en scène et scénographie Michel Dezoteux.
Homme moderne s’il en est, Woyzeck est un homme exploité de bien des manières. Il vient de s’enrôler dans l’armée, est sadisé par son capitaine, utilisé comme cobaye pour les expériences médicales d’un médecin exalté qui l’exhibe à ses étudiants et il se fait piquer sa femme par le Sergent Major. “ Je crois que si on allait au ciel, il faudrait encore qu’on aide à faire le tonnerre ! ” dit Woyzeck.
Quarante-neuf fragments de la chronologie bousculée d’un pauvre hère qui a des voix. Soumis à des accès de schizophrénie, ces voix lui soufflent sans arrêt : “ Tue, tue ! ”, ce qu’il finit par faire. Responsable ? Irresponsable ? Est-il vraiment fou ou est-ce la société qui l’a définitivement abîmé ? Comme chez son cousin en folie Hamlet, on ne sait pas. La pièce ne répond pas mais dit que “ chaque homme est un abîme. On a le vertige quand on se penche dessus. ”
Que des actes, pas de lamentations ! affirme le metteur en scène Michel Dezoteux. Il agence ces fragments avec la vigueur noire d’un thriller, comme une avancée inéluctable et fatale dans les méandres de l’esprit aliéné de Woyzeck.
Inspirée d’un fait divers survenu le 21 juin 1821 (un perruquier-coiffeur au chômage poignarde sa petite-amie), Woyzeck est une œuvre en morceaux, à composer, l’ordre n’ayant pas été fixé par l’auteur, Georg Büchner, mort à 2-3 ans du typhus en 1837. Il laisse derrière lui trois pièces, dont Woyzeck, inachevée, qui deviendra pourtant un classique absolu.
Avec Karim Barras, Azeddine Benamara, Éric Castex, Inès Dubuisson, Fanny Marcq, Denis Mpunga – Création lumière Éric Vanden Dunghen – Création costumes Odile Dubuc – Création maquillage Jean-Pierre Finotto – Composition musicale Alexis Koustoulidis – Geste Claudio Bernardo – Assistanat à la mise en scène Glenn Kerfriden
Un spectacle du Théâtre Varia, en collaboration avec le centre des Arts Scéniques (CAS).
Avec l’insertion du Monologue de l’ascenseur de La Mission de Heiner Müller (traduction Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger)
Vidéo de présentation: Woyzeck, de Georg Büchner, mise en scène de Michel Dezoteux.
Woyzeck, c’est d’abord l’histoire d’un soldat du rang, soldat de métier dans l’armée allemande, âgé de 30 ans, dans une ville sinistre de garnison comme il en existe des centaines à travers le monde. Homme de troupes, voilà un métier guère compliqué «qu’un enfant de 7 ans pourrait exercer » : debout, couché, rompez, en joue, etc. Mais un métier très mal payé qui oblige Woyzeck à accepter d’autres petits boulots pour arrondir les fins de mois et apporter un peu d’argent au foyer composé d’une épouse et d’un jeune enfant.
Woyzeck, c’est aussi l’histoire de son capitaine qui l’utilise comme factotum, souffre-douleur et qui couche à l’occasion, sans vergogne et sans façon, avec la femme de son troufion, après une bonne soirée de beuverie par exemple. Woyzeck, c’est encore l’histoire de docteurs Mabuse, médecins de l’armée allemande, qui confondent l’éthologie avec l’anthropologie et utilisent Woyzeck comme cobaye de leurs expérimentations fumeuses et dangereuses. Woyzeck, c’est enfin l’histoire d’un homme jaloux de son épouse, femme-réceptacle dans laquelle la part masculine de l’humanité casquée et bottée vient vider sa semence en échange d’une boucle d’oreille ou tout simplement d’un peu de bon temps.
Bref, Woyzeck, c’est l’histoire d’un homme-paillasson, sur lequel tout le monde s’essuie les pieds, qui se transforme en homme sanguinaire en tuant sa femme par jalousie. Réduit à la condition animale par l’institution militaire, symbole dans cette pièce de la violence insidieuse de la domination sociale, il sombre en effet dans la folie avant de tuer cette femme qu’il aime pourtant et dont il est aimé, incapable qu’il est d’imaginer une autre issue pour échapper à la spirale sociale infernale qui l’oppresse.
Dit autrement, Woyzeck, c’est la terrible histoire d’un individu nié dans sa part d’humanité qui finit par se conformer parfaitement au rôle que la société lui assigne en adoptant le comportement bestial que celle-ci attend de lui, confortant ainsi a posteriori le regard posé sur sa personne: on vous l’avait bien dit, Woyzeck n’est pas un homme mais un animal, la preuve, il a tué sa femme !
Qui est coupable dans cette affaire, Woyzeck, ses oppresseurs ? C’est bien sûr Woyzeck qui fera l’objet de la vindicte populaire même si l’auteur ne le dit pas. Il est tellement plus rassurant d’attribuer la responsabilité de son geste à un homme-exutoire plutôt que d’admettre notre responsabilité collective dans le devenir de chacun et de nous interroger sur les raisons profondes qui ont conduit cet individu à se conduire de manière si bestiale.
Voilà donc une pièce pessimiste sur le genre humain ébauchée par un jeune auteur allemand qui n’aura pas eu le temps de l’achever avant de mourir; une pièce qui n’a donc rien de gai mais qui est abondamment reprise ces derniers temps dans les théâtres parisiens, de province et de Navarre, sans doute parce qu’elle entre en résonance avec une époque rongée par la crise et en perte de repères. Le Bondy Blog se devait donc d’en parler !
Gaëlle Matoiri