Lectures 2024

Quelques notes sur l’essai de Pierre-Emmanuel Moog, Dans la fabrique des Contes de Perrault (2024, Éditions Classiques Garnier):

*******

Il était une fois des histoires qui ne se situaient ni dans un lointain royaume, ni ne se déroulaient dans un temps ancien, mais ici et maintenant, c’est-à-dire dans le monde de Perrault et de ses premiers lecteurs.

Pierre-Emmanuel Moog

4ème de couverture :

« Les contes de Perrault (1697) ne sont pas destinés qu`aux enfants, ni d`une simplicité littéraire proche de l`oralité, et les quelques épisodes surnaturels mémorables n`empêchent pas leur profond réalisme, comme la critique l`a déjà établi. Nous voulons aborder la question du merveilleux par les invraisemblances apparentes qui parsèment ces récits laconiques. Cet essai revient au plus près des textes, par une attention aux détails, aux blancs, aux ellipses et aux moindres anomalies stylistiques et narratives. Pour les résoudre, nous acceptons de considérer que ces personnages de conte sont dotés d`une psychologie, et qu`elle respecte les mœurs du temps. Nos analyses feront apparaître les procédés de fabrication des contes de Perrault, et certains de leurs enjeux.« 

*******

J’ai entendu citer le livre de Pierre-Emmanuel Moog à la radio, dans une émission sur les contes, où intervenait une auteure que j’apprécie beaucoup, Bernadette Bricout. (1)

J’ai donc acheté, et tenté de lire cet essai très savant, un travail universitaire approfondi, qui décortique le langage des contes de Perrault: leur syntaxe, leur grammaire, tout leur langage littéral, induisant une interprétation centrée sur l’univers réel de l’époque, auxquels ils renvoient. J’ai été très intéressée par quelques parallèles que fait l’auteur avec la vie de Charles Perrault lui-même: sa situation familiale, politique, sa place dans la société de l’époque. Pierre-Emmanuel Moog cherche à faire le lien entre la lettre des Contes et les réalités de l’époque: comment on se déplaçait, comment on s’habillait, ce qu’on mangeait etc. (Ce « on » me pose quand même problème, car Perrault semble avoir du mal à se décentrer de son point de vue de grand bourgeois du XVIIème siècle).

Les interprétations psychologiques ou psychanalytiques des textes sont pratiquement absentes de l’essai. La méthode de P.-E. Moog me semble plus descriptive, partant de la lettre du texte de Perrault. L’auteur explore à fond son sujet, ainsi que l’exigent les recherches universitaires: il cite tour à tour tous les contes, en fonction des thématiques (souvent formelles) qu’il aborde. Et cette exploration exhaustive (bienvenue sans doute dans un travail de recherche) supprime, en l’expliquant, le merveilleux, le mystère, l’enchantement, rendant les Contes (et le lecteur?) quelque peu chenus-grenus, vieux, en quelque sorte…

J’avoue que cette lecture m’a plutôt ennuyée. Je récuse certaines des préoccupations ou interprétations de l’auteur. Par exemple: la fée-marraine de Cendrillon produit de façon merveilleuse un carrosse pour transporter la belle enfant au bal du prince. ET, demande l’auteur: Perrault ne dit pas à quel endroit se produit cette merveille… Dans la chambre de la fée? (Mais alors, comment le carrosse sort-il de la maison?). Sur la route? (Mais alors, où s’opère la transformation de Cendrillon en créature resplendissante?)

Et j’ai envie de répondre à Pierre-Emmanuel Moog: on n’en sait rien, c’est vrai, mais est-ce qu’on s’en soucie quand on lit, ou qu’on écoute le conte, et surtout quand on est, ou reste, ou redevient (pour l’occasion) un enfant?

Alors, faut-il désenchanter l’univers des contes?

*******

(1) de Bernadette Bricout:

(2005, Éditeur Le Seuil)

On pourrait prendre la clé des contes comme l’on prend la clé des champs. Ce livre est une invitation au voyage. Car, si les contes ont les contours des paysages familiers, ils restent une terre inconnue. Parce qu’ils ont été transmis de génération en génération, portés par la parole vive, ils conservent en eux la trace de gestes et de mots ordonnés dans une trame où tout fait sens, invisible et pourtant présente, où chatoient d’obscures merveilles depuis longtemps perdues pour nous. Les contes disent à mots couverts quels secrets se cachent entre les feuilles du basilic, dans l’eau de. la claire fontaine et la courbure de l’arc-en-ciel.