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Bande de menteurs, récit autofictionnel de Mary Karr (1998, Éditions JC Lattès – traduit de l’anglais (USA) par Sylvie Schneiter, avec le concours du Centre national du livre – 1ère édition 1995).

Bande de menteurs, de Mary Karr (1998). La 4ème de couverture veut accrocher le lecteur (la lectrice), mettant en exergue ces bouts de phrase, extraits des 450 pages du récit: Quand j’avais sept ans, ma mère a tenté de me tuer avec un couteau de boucher. Je n’ai jamais compris pourquoi. Et parle du livre comme du récit (« pétillant d’ironie, d’insolence et de tendresse« ), d’une enfance assiégée, cruelle, malheureuse. Le livre de Mary Karr possède bien les qualités citées par l’éditeur, et bien d’autres: il est ample, foisonnant, intense! Mais pas pétillant, non. L’enfance de Mary et de sa sœur Lecia y est racontée, reconstruite. Texas, années 60: l’auteur raconte sans fard et sans jugement les excentricités parfois dangereuses, voire les exactions des parents, leurs négligences (parfois criminelles) à l’égard de deux filles toute jeunes, ballottées dans une vie marginale, qui n’est pas celle d’un quart-monde social: le père est ouvrier spécialisé, la mère est une « ex-étudiante des Beaux-Arts à Greenwich Village » – mais plutôt une marginalité culturelle, une ignorance crasse des besoins éducatifs et de la protection nécessaire d’un enfant, un abandon paternel, et des troubles psycho-affectifs graves de la mère (dont Mary rend sa grand-mère maternelle responsable – celle-ci, décrite comme folle et repoussante, lui inspire de la peur et du dégoût). Aujourd’hui, cela s’appelle de la maltraitance. Mary et sa sœur tentent de faire face, de suppléer aux erreurs, aux manques, aux cruelles négligences et abus des adultes, bref de survivre. Les besoins élémentaires de l’enfance ne sont pas satisfaits, mais Mary ressent aussi, apparemment, l’attention et la tendresse, notamment de son père. Et Mary Karr cite Ezra Pound en exergue: Seule importe la qualité de l’amour. C’est elle, en fin de compte, qui aura marqué l’ esprit. Dove sta memoria. (Ezra Pound, Canto LXXVI). La scène inaugurale de Bande de menteurs décrit une rupture violente dans cette vie chaotique: après une scène traumatisante et dangereuse, où (père absent, comme souvent), la mère décompense brutalement, les secours interviennent (enfin!), et les fillettes sont confiées pour un temps à des voisins. On apprend plus tard dans le récit que la mère est hospitalisée en psychiatrie (de nombreuses allées et venues dans les souvenirs reconstitués de l’auteur obligent le lecteur à recoller des morceaux…) Je crois qu’il ne faut pas lire ce livre en adoptant seulement le point de vue de services sociaux, d’ailleurs peu présents dans le récit, ou seulement comme un récit d’enfance malheureuse (ni bien sûr heureuse! Une des conséquences de cet abandon éducatif est que Mary, très jeune, a subi un viol par un adolescent de son quartier…) L’œuvre est beaucoup plus complexe, et ne cherche pas à faire pleurer dans les chaumières… La résilience de Lecia et Mary Karr fut remarquable, ce récit d’une grande force en est témoin, notamment dans sa dernière partie. Chronique minutieuse d’un champ de bataille familial, Bande de menteurs recèle aussi des trésors dans la description des lieux, de l’époque (Texas et Colorado, années 60): un panorama documenté du sud des États-Unis avec chaleur étouffante, rivières en crue, ouragans, pique-nique paroissiaux… Mary Karr a dédié son livre à ses parents. C’est une lecture longue, mais encore… éprouvante, mais aussi… passionnante!