Les Passeurs

"Les mots qui vont surgir ici savent de nous ce que nous ignorons d'eux." René Char

Des bouquins pour la route : 2023 !

NB : en 2023, les Compléments (ou Annexes) figureront sur cette Page bibliothèque en-dessous de la liste des livres, toute l’année. Lors de la publication de cette Page sous forme d’Article (fin 2023 ou début 2024), ces Compléments feront l’objet d’articles séparés.

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♥♥♥ BELOVED, de Toni Morrison (1989, Éditions 10-18, Christian Bourgois Éditeur pour la traduction française; Titre original : Beloved; traduit de l’anglais, États-Unis, par Hortense Chabrier et Sylviane Rué).

😉 J’ai lu ce magnifique roman de Toni Morrison « à cheval » sur 2022 et 2023. J’ai eu du mal à m’en détacher. C’est à la fois un récit fantastique, une chronique des États-Unis dans la 2ème partie du 19ème siècle, et une vision saisissante, de l’intérieur, de cette monstruosité que fut (est encore, hélas!) l’esclavage. Dans une langue admirable, et admirablement traduite.

(Quelques extraits en Annexes 1)

SCARLETT ET NOVAK, S.F. d’Alain Damasio (2021, Paris, Rageot Éditeur) « Un thriller qui déjoue la fascination du smartphone ».

♥♥ BILLY SUMMERS, thriller de Stephen King (2022, Éditions Albin Michel, édition originale à New-York, chez Scribner, 2021; Traduit de l’anglais – États-Unis – par Jean Esch)

♥♥ D’AUTRES VIES QUE LA MIENNE, de Emmanuel Carrère (2017, Gallimard Éditeur). (Notes personnelles et citations dans les Compléments 2)

♥♥ DOLORES CLAIBORNE, roman de Stephen King (1993, Éditions Albin Michel ; traduit de l’anglais – Etats-Unis – par Dominique Dill)

LA LUMIÈRE DU DEUIL, récit poétique de Dominique Sampiero (1999, Verdier Éditeur). (Un petit extrait en Annexe 3)

Ω PRENONS LE POUVOIR SUR NOS RETRAITES, de Bernard Friot (2023, Éditeur La Dispute/Snédit Paris)

Ω UNE JOURNÉE FASCISTE, Célestin et Élise Freinet, pédagogues et militants, essai historique de Laurence De Cock (2022, Éditions Agone, collection « mémoiresociales » ; édition établie par Thierry Discepolo)

♥♥ LE BÂTARD DE NAZARETH, roman de Metin Arditi (2023, Bernard Grasset Éditeur, Paris)

♥♥ L’ENFANT OCÉAN, conte pour la jeunesse de Jean-Claude Mourlevat (2010, Éditions Pocket Jeunesse, 1ère édition 1999) (Le paragraphe final est cité dans le Complément 4)

♥♥ LONELY BETTY, roman de Joseph Incardona, illustré par Thomas Ott (2023, Éditions Finitude, 1ère édition non illustrée, 2010, chez le même éditeur)

LES AFFLUENTS, roman de Julien Bertrand (2021, Éditions Plon)

COMPLÉMENTS

  • 1 : Extraits de Beloved, roman de Toni Morrison (1989)

Beloved se présentait comme :

Une fille de couleur sans défense (venant de) territoires infestés par le Klan. Désespérément assoiffé de sang noir sans lequel il ne pouvait vivre, le dragon vaguait par tout l’Ohio à sa guise.

p. 99

Ce que disait Grand-Mère Baby sur les Blancs :

… qu’il n’y avait pas de défense – ils pouvaient à volonté vous considérer comme une proie, changer d’idée comme de chemise, et même quand ils pensaient se comporter bien, c’était à cent lieues de ce que font les vrais humains.

p. 336

Ce qui faisait trembler l’esclave fugitif Paul D, ce qui mouvait l’esclave fugitive Sethe :

Que tout Blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne pour un oui ou pour un non. Pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si gravement qu’il vous serait à jamais impossible de vous aimer. Vous salir si profondément que vous en oubliiez qui vous étiez et ne pouviez même plus vous en souvenir. Et qu’alors même qu’elle, Sethe, et d’autres étaient passés par là et y avaient survécu, jamais elle n’aurait pu permettre que cela arrive aux siens. Le meilleur d’elle, c’étaient ses enfants.

p. 346

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  • 2 : Notes personnelles et citations du récit d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne.

Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.

Il fallait une capacité majeure d’empathie pour s’attacher à décrire ces autres vies, comme le fait ici Emmanuel Carrère. Ces autres vies, ces morts, et ce qui subsiste pour les vivants : les deuils, et la vie qui continue, infléchie, changée, souvent bouleversée, mais toujours évidente.

Continuer, après la mort de son très jeune enfant, c’est la première partie du livre; la seconde partie décrit la maladie et la mort d’une femme, explorant tous les liens qui se rompent alors, ceux d’une mère, d’une épouse, d’une juge d’instance engagée.

Une question de langage me tournait dans la tête. Je déteste qu’on emploie le mot « maman » autrement qu’au vocatif et dans un cadre privé : que même à soixante ans on s’adresse ainsi à sa mère, très bien, mais que passé l’école maternelle on dise « la maman d’Untel » ou, comme Ségolène Royal, « les mamans », cela me répugne, et je devine dans cette répugnance autre chose que le réflexe de classe qui me fait tiquer quand quelqu’un dit devant moi « sur Paris » (…) Pourtant, même pour moi, celle qui allait mourir, ce n’était pas la mère d’Amélie, de Clara et de Diane, mais leur maman, et ce mot que je n’aime pas, ce mot qui depuis si longtemps me rend triste (…), j’avais envie de le prononcer. J’avais envie de dire, à voix basse : maman, et de pleurer et d’être, pas consolé, non, mais bercé, juste bercé, et de m’endormir ainsi.

D’autres vies que la mienne, p. 86

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, l’importance du langage qui façonne nos actes :

On devait (…) aller à l’hôpital, je crois qu’on a simplement dit « pour voir Juliette ». Pas pour lui rendre un dernier hommage, ni pour se recueillir devant sa dépouille : c’est une qualité qu’on doit reconnaître aux bourgeois à l’ancienne de ne pas recourir à cette langue de bois, et de dire qu’on est mort, pas décédé ou parti.

D’autres vies que la mienne, p. 104

La première nuit

« Une place s’était creusée » pour Étienne, le collègue juge très proche de Juliette. Après sa mort, Étienne parle d’elle à sa famille, à ses amis. Et on mesure là encore l’extrême attention qu’Emmanuel Carrère porte aux mots, au langage :

(…) c’est de cette place qu’il nous parlait. Pour nous dire quoi ? Pas de bonnes paroles. Pas que Juliette était courageuse, ni qu’elle s’était battue, ni qu’elle nous aimait, ni même qu’elle était morte heureuse. Tout cela, d’autres pouvaient nous le dire. Lui parlait d’autre chose, qui lui échappait, qui nous échappait, mais remplissait le salon ensoleillé d’une présence énorme, écrasante, pas triste pour autant. J’ai senti que cette présence me faisait signe à un moment précis, quand il a évoqué l’expérience pour lui fondatrice de la première nuit. La première nuit qu’on passe à l’hôpital, seul, quand on vient d’apprendre qu’on est très gravement malade, que de cette maladie on va peut-être mourir et que c’est cela, désormais, la réalité. Quelque chose, disait-il, se joue à ce moment, qui est de l’ordre de la guerre totale, de la débâcle totale, de la métamorphose totale. C’est une destruction psychique, cela peut être une refondation.

D’autres vies que la mienne, p. 114-115

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  • 3 : 4ème de couverture de La lumière du deuil, de Dominique Sampiero.

Quand elle apparaît dans le récit, les souillures de la vie l’ont déjà atteinte. Qui était cette femme que le narrateur n’a pas même connue et qui lui manque ?
Pour la sauver de l’oubli –lui donner un corps, lui inventer une voix–, chaque mot la cherche dans la douceur mouillée du pays des Flandres, dans sa beauté native, dans sa violence sourde, sa folie silencieuse, son dénuement.
Un destin s’accomplit qui semble ne laisser aucune part à l’amitié du monde. Mais si, inconsolable, on attendait encore une lueur, c’est à la nuit, la boue, à l’immobilité de la flaque qu’il faudrait arracher son reflet.

Source : éditions Verdier.

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  • 4 : Le paragraphe final de L’enfant Océan, de Jean-Claude Mourlevat.

(…) Toujours ce sourire. C’était très étrange. L’idée m’est venue que cet enfant n’était pas réel, qu’il sortait tout droit d’un conte. Que j’avais le droit d’y entrer pour un instant. Qu’il voulait bien m’y accepter. À condition bien sûr que je cesse de poser des questions idiotes.

Je me suis assis à côté de lui, avec mille précautions de peur de briser l’enchantement. Il faisait incroyablement doux pour une matinée de mi-novembre. Au-dessus de nos têtes, le ciel était immense. Le bateau filait à bonne allure.

Plein ouest.

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